LE CINQUIÈME POUVOIR de Bill Condon (2013)

le cinquième pouvoir

Quelles sont les raisons pour lesquelles Julian Assange a t’il décidé d’exposer des secrets d’État ? De quelle manière a-t-il procédé ? Avec qui ? Le Cinquième Pouvoir tente de répondre à ces questions et de mettre ainsi à nu toute l’entreprise Wikileaks. Si le sujet éveille l’intérêt du spectateur, le film accumule malheureusement les poncifs et se révèle rapidement soporifique.

Révolutionnaire dans l’âme, Julian Assange désirait avec Wikileaks rendre accessible à tous des informations traditionnellement classés secrètes. Véritable tête brûlée, il était accompagné de l’Allemand Daniel Berg qui voyait en Assange un visionnaire doublé d’un incroyable meneur d’hommes. Le film suit l’activiste Daniel Berg et explore la relation entre les deux hommes dans leur entreprise de déstructuration du système. Daniel Brühl incarne à merveille ce jeune idéaliste qui, d’abord fasciné par son mentor, va rapidement éprouver du dégoût pour cet homme réellement dangereux. Le casting est d’ailleurs le seul point fort du film, on saluera notamment les performances correctes de l’allemand Moritz Bleibtreu (La Bande à Baader) et de la sublime Carice Van Houten (Black Book) qui enchante le spectateur par sa seule présence.  Le toujours charismatique Benedict Cumberbatch crève l’écran mais son personnage n’a malheureusement jamais la densité escomptée.

Plombé par un scénario mollasson et une mise en scène neurasthénique, le film accumule les informations sans qu’aucun traitement cinématographique ne soit effectué pour leur donner une réelle ampleur. Par conséquent, Le Cinquième Pouvoir désintéresse rapidement un spectateur au départ intrigué, qui regarde ensuite en permanence sa montre en se demandant quand cette galère va prendre fin. Un bon sujet ne fait pas un bon film, cela se vérifie hélas une nouvelle fois avec Le Cinquième Pouvoir, film vain qui n’aborde jamais en profondeur les questionnements que ce type d’entreprise peut susciter. Néanmoins, le film n’entachera sûrement pas la carrière cinématographique de Benedict Cumberbatch qui choisira mieux ses projets à l’avenir.

En conclusion, Le Cinquième Pouvoir est une immense déception doublée d’une perte de temps précieuse.  Empressez vous donc de le rater.

Ben SIVI

THE IMMIGRANT de James Gray (2013)

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Cinéaste méconnu aux Etats-Unis mais reconnu en Europe, James Gray est le réalisateur des sublimes The Yards ou La Nuit nous Appartient avec déjà Joaquin Phoenix. Metteur en scène très classique et grand directeur d’acteurs, Gray est à l’opposé de la mode actuelle du cinéma américain ce qui est une explication à son anonymat outre-atlantique. Les différents longs-métrages de Gray égrène très souvent les mêmes thèmes : la place de la famille, le pardon, la rédemption, l’Amérique et ses mythes. Contrairement à ses précédents films plus contemporains, The Immigrant est un film d’époque, l’intrigue se déroulant au début du 20ème siècle.

Ewa (Marion Cottillard) et sa plus jeune soeur Magda ont quitté leur Pologne natale pour rejoindre New-York. Durant leur transfert à Ellis Island,  Magda est renvoyée à l’infirmerie pour cause de tuberculose. Ewa n’est pas autorisée à rester sur le sol américain mais y parvient grâce à l’appui de Bruno Weiss (Joaquin Phoenix), un macro sans scrupules. Réfractaire à devenir une simple prostituée dans un premier temps, Ewa sera finalement prête à tout pour récupérer sa soeur. Dans le même temps, tandis que Bruno tombe amoureux d’elle, elle fait la rencontre d’un autre homme, le magicien Emil (Jeremy Renner), cousin de Bruno.

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Dès les premières minutes et grâce à une magnifique reconstitution de l’époque, on est immergé dans l’atmosphère des années 20 à travers le personnage d’Ewa. Gray est un cinéaste qui prend son temps pour dérouler son intrigue et présenter ses personnages avec toujours un style ultra-léché. La plus-value sur ce film est le travail du directeur de la photographie Darius Khondji, (Seven, La Cité des Enfants Perdus)  véritable magicien de la lumière. Il est très rare de nos jours de voir une si belle image sur un écran de cinéma. De son côté, le réalisateur n’a pas son pareil pour filmer de purs moments de poésie à l’image de la confession d’Ewa à l’église. Ces scènes d’une intensité rare nous émeuvent également grâce à une parfaite utilisation de la musique.

A travers l’histoire d’Ewa, le réalisateur nous renvoie à sa propre histoire. Ces parents, immigrés juifs, sont aussi passés par Ellis Island et ont ainsi connu cette désillusion en arrivant aux Etats-Unis. Pays où tout est possible, Gray veut également rappeler la profonde misère de certains à leur arrivée. Comme à son habitude, Gray privilégie des relations humaines très complexes qui évolueront au gré des situations. La relation passionnelle, sentimentale et violente entre Ewa et Bruno est le principal attrait du scénario de Gray et Menello, cette relation qui inévitablement mènera à la rédemption de Bruno. De même, à l’image des frères Grusinsky dans La Nuit nous Appartientla relation d’Emil et Bruno apparait comme biblique. Personnage a priori peu intéressant, Emil trouvera toute sa force dans les multiples questions que Gray laissera en suspens. Les trois acteurs principaux livrent une très grande performance: torturée pour Phoenix, sobre pour Cotillard et ardente pour Renner. 

Enfin notons, la parfaite mise en abîme de l’art à travers le mini-théâtre de Bruno (qui va bientôt disparaître à cause du cinéma naissant) et l’opéra, à travers la magnifique chanson de Caruso le ténor de l’époque, qui chante pour l’arrivée des nouveaux migrants. The Immigrant est donc un drame d’une très grande richesse avec une forte puissance émotionnelle ce qui est de plus en plus rare.

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J-B Coriou

CAPTAIN PHILIPS de Paul Greengrass (2013)

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Réalisateur des deux derniers volets de la Trilogie Jason Bourne, Paul Greengrass est aussi le réalisateur des puissants Bloody Sunday et Green Zone. L’anglais aime ainsi mêler histoire vraie et pur film d’action ce qui est encore le cas dans ce Captain Philips. Ce film est à mettre en parallèle avec le film danois Hijacking sorti cette année qui traitait déjà de la piraterie. Là où le film de Tobias Lindholm privilégiait la négociation de l’entreprise avec les pirates, le film de Greengrass s’intéresse uniquement à la prise d’otages en elle-même. Autant le dire, ce film est une vraie claque, pas du ciné popcorn qui s’oublie dès la sortie de la salle de cinéma.

Le film se découpe en deux parties. En 2009, le Capitaine Richard Philips (Tom Hanks) et son équipage effectuent une mission commerciale avec son bateau, le Maersk Alabama, qui l’amène près des côtes somaliennes. Des pirates réussissent à s’introduire à bord. Très vite informée, l’armée américaine décide de mobiliser ses forces.

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La grande force de Greengrass est l’immersion totale du spectateur dans un univers qui lui est étranger. Très vite et à travers le personnage de Tom Hanks (qui retrouve un rôle à sa mesure, après quelques années d’errements), on suit l’embarquement dans ce gigantesque navire. On devient tout de suite familier avec ce personnage normal. Une fois, que le spectateur s’est imprégné de cet environnement maritime, on passe à l’action du film, action qui ne nous lâchera plus jusqu’à la fin du film.

On retrouve immédiatement les caractéristiques de la mise en scène du réalisateur anglais : un sens du découpage parfait, une caméra hyper nerveuse, une atmosphère intense et un style quasi-documentaire. Le réalisme prime avant tout. Ce choix permet également de ne pas tomber dans un manichéisme entre les méchants pirates et les gentils marins. Greengrass s’attache aux faits mais distille de temps en temps à travers des dialogues bien sentis quelques messages politiques laissant le spectateur s’approprier le débat.

Enfin, le film fait la part belle à l’affrontement entre deux êtres totalement dépassés par les événements. Le chef des pirates, remarquablement interprété par Barkhad Abdi, voit peu à peu le sol se dérober sous ses pieds malgré sa volonté de toujours croire à sa destinée. A l’opposé, le capitaine Philips, débordé dans un premier temps, devient de plus en plus lucide sur une situation qui apparait comme inéluctable. Captain Philips est un grand film sur le courage et le renoncement.

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JB Coriou

THE BIG LEBOWSKI de Joel (et Ethan) Coen (1998)

 

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Objet Filmique Non- identifié sorti tout droit de l’imaginaire fertile de la fratrie Coen. The Big Lebowski, nous plonge à Los Angeles aux côtés d’une bande de losers magnifiques, Jeffrey Leboswki alias « The Dude » (Le Duc en VF), Walter Sobchak, vétéran du ‘Nam converti au judaisme et Danny qui ne peut pas en placer une sans se faire engueuler par Walter. Un soir, deux hommes de mains envoyés par Jackie Treehorn, magnat du porno, débarquent chez Lebowski et lui somment de rendre l’argent que son épouse Bunny lui doit. Malheureusement il s’agit d’une erreur, Lebowski n’est pas marié, ils le confondent avec un autre homonyme, qui lui est millionnaire. Cependant un des deux gorilles urine sur le tapis du Duc, bien décidé à faire valoir ses droits, celui-ci va tout faire pour récupérer un nouveau tapis. Une quête anodine en apparence mais qui lui fera croiser la route de nihilistes allemands, de doigts coupés, d’un latino pédophile et de « white russian ».

 The Big Lebowski ne ressemble à rien de ce que l’on a pu voir auparavant. S’il s’agit d’un hommage détourné au film noir et plus précisément au Grand Sommeil de Raymond Chandler, on assiste à un déferlement, d’humour crétin mais amené de manière paradoxalement subtile et on se marre à gorge déployée. The Dude et son groupe de « potes » sont à eux trois une études de ces personnages qui trainent leurs guêtres aux Etats-Unis sans trop savoir quoi faire de leur vie. Etant tous différents les uns des autres mais réunis par une passion commune, le bowling. Le génie des frères Coen réside en partie dans la façon qu’ ‘ils ont de nous présenter des personnages fantasmagoriques mais qui sont pourtant inspirés de connaissances des réalisateurs. Une des plus belles interprétation, reste tout de même celle de John Turturro incarnant Jesus Quintana, en particulier lorsque le personnage est introduit sur une reprise d’Hotel California par les Gipsy Kings, un moment d’anthologie.

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 Alors bien sûr beaucoup diront que The Big Lebowski est une comédie lourde et pas drôle, pourtant on nous offre un casting solide: Jeff Bridges, John Goodman, Steve Buscemi, Julianne Moore, ou Philip Seymour Hoffman pour ne citer qu’eux. Des  dialogues bourrés de petits clins d’oeil à la culture américaine (et d’intelligence). Alors oui, The Big Lebowski peut paraître lourd aux petits censeurs de joie pour qui rire devant un film est un crime de lèse majesté au cinéma et à la réflexion. Cependant, le long métrage est plus fin qu’il n’y paraît et nous donne un aperçu de plusieurs couches de la population américaine, du célibataire chômeur au millionnaire désargenté en passant par le ponte de l’industrie porno californienne. Tout le monde en prend pour son grade et c’est aussi ce qui fait la beauté de ce film, on passe un bon moment avec des gens, certes un peu stupides, mais tout en nous faisant rires, nous font aussi réfléchir sur la bêtise humaine parfois tellement banale qu’on n’y fait plus attention.

Pour la petite histoire le long métrage a atteint un tel statut culte à travers le monde qu’on a créé une Eglise, le « Dudéisme », que des conférences de fans sont organisées chaque année ( le Lebowski Fest auquel les acteurs participent aussi) et qu’une parodie porno a été réalisée. The Big Lebowski est une œuvre trop riche pour pouvoir faire ici une liste exhaustive de toutes ses qualités, c’est un savant mélange de bêtise, d’intelligence et d’humour et qui même après des années de visionnage ne prend pas une ride. Plus qu’un film, un art de vivre!

 

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 Marc-Antoine Ravé

INSIDE LLEWYN DAVIS des frères Coen (2013)

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A contre-courant du cinéma populaire actuel où les blockbusters font la pluie et le beau temps à Hollywood, les laissés pour compte du rêve américain ont toujours été le moteur central du cinéma des frères Coen. Ils ont brillamment repris le flambeau des cinéastes des années 70 où l’être humain était le sujet principal des fictions de l’époque. La figure majeur de ce cinéma tragi-comique est certainement le Dude de The Big Lebowski réalisé en 1998. Loser magnifique, le personnage de Jeff Bridges était le parfait anti-héros pour qui on avait un attachement immédiat avec sa grande carcasse, son long peignoir et ses lunettes de soleil. Llewyn Davis est parfaitement dans la même veine que son prédécesseur.

Voulant vivre de sa passion pour le folk et sans le sou, Llewyn Davis (Oscar Isaac) squatte chez ses différentes connaissances le temps de connaitre des jours meilleurs. On suit les péripéties de ce doux rêveur au cours d’une semaine fatidique pour sa carrière. Le principale problème de Llewyn : s’attirer des ennuis de son propre fait. Son salut viendra peut-être d’un rendez-vous à Chicago avec un célèbre producteur de musique, Bud Grossman (F. Murray Abraham).

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A titre personnel, beaucoup de choses m’attiraient dans ce film. Le film se situe au début des années 60, époque où la musique allait définitivement prendre son essor. Deuxièmement, les frangins ont choisi une musique typiquement américaine :  le folk (une guitare sèche, une voix) rendu populaire par Bob Dylan dans une époque très particulière pour le pays de l’Oncle Sam. On ressent cette profonde passion des Coen pour cette musique durant tout le film. Enfin, retrouver un anti-héros comme personnage principal est toujours un défi.

La prestation très réussie d’Oscar Isaac est un atout considérable pour le film. Avec son air de chien battu, subissant les conséquences malheureuses de ses actes, il devient immédiatement attachant. Saluons également la prestation du toujours parfait John Goodman, en toxico sans aucune humanité. En terme de mise de scène, les Coen ont clairement décidé de soigner leurs cadres magnifiquement photographiés par le français Bruno Delbonnel. Chez les Coen, la puissance évocatrice de l’image est une donnée aussi importante que le scénario. Le spectateur est perpétuellement interrogé à chaque plan sur la condition du personnage et ses sentiments. 

Enfin, au-delà des dialogues et des scènes toujours aussi drôles caractéristiques de leur cinéma, les Coen nous interrogent sur la place de l’art et de l’Amérique de l’argent roi (la rentabilité d’un produit à travers le personnage de Grossman) . On retient notamment la scène de confrontation magnifique entre Jean Berkey (Carey Mulligan) et Llewyn Davis  sur le fait de vivre de sa passion ou d’y renoncer. La fin tragique de l’ex-partenaire de Llewyn nous éclaire sur le choix à faire.

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J-B Coriou

THOR: LE MONDE DES TÉNÈBRES d’Alan Taylor (2013)

Retour du plus nordique des super-héros dans Thor : Le monde des ténèbres. Si le film est une vraie réussite visuelle et relève du jamais-vu dans un long-métrage Marvel, il est hélas vite plombé par une dimension comique totalement déplacée qui en dit long sur l’incapacité des initiateurs du projet à comprendre leur public.

Personnage emblématique de l’écurie Marvel, Thor revient ici dans un deuxième épisode nettement plus abouti que son prédécesseur. Là où le premier volet n’était qu’une banale présentation des personnages et définissait la place que ceux-ci tiennent dans l’univers Marvel, la suite est un drame familial particulièrement sombre avec pour toile de fond un affrontement épique pour la survie de tout un peuple. Hélas, si la première partie du film nous tient en haleine de par sa dramaturgie exacerbée et ses batailles sidérantes, le film est ensuite plombé de manière totalement incompréhensible par un humour balourd et hors-propos et balaie ainsi de manière éhontée une bonne partie des enjeux dramatiques mis en place au début.

Doté d’un univers passionnant, le comic Thor offre un champ des possibles infini pour une adaptation cinématographique. Le réalisateur Alan Taylor semble l’avoir très bien compris et nous livre une œuvre qui mêle avec brio heroic-fantasy, science-fiction et même space-opera pour un résultat visuel époustouflant. La scène d’introduction du film fait d’ailleurs clairement penser au Seigneur des Anneaux et nous plonge dans la bataille épique entre les Asgardiens et les Elfes Noirs. La défaite de ces derniers entraine la perte de leur source de pouvoir et les force à l’exode à bord d’un vaisseau spatial. Déchus, les Elfes Noirs préparent leur vengeance contre Asgard.

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Après la scène d’introduction, le film nous présente un univers en guerre où Thor lutte pour parvenir à maintenir la paix. La première apparition du super-héros est d’ailleurs très réussie et iconise brillamment le personnage de Thor qui est parvenu à asseoir son statut de leader auprès de ses camarades. En effet, le dieu nordique est désormais respecté et craint mais semble également avoir gagné en maturité. Il n’est en effet plus dévoré d’ambition comme dans le premier épisode et semble avoir pris ses responsabilités. Néanmoins, Thor est rongé par une tristesse infinie du fait de l’éloignement de l’être aimé : Jane Foster alias Natalie Portman. Là réside le défaut principal du film puisque le réalisateur (ou les producteurs plutôt) s’oblige a faire un lien inutile avec la Terre qui n’apporte strictement rien au récit. En effet, les scènes sur Terre encombrent le film et plombent un récit qui se suffisait jusqu’ici à lui-même. On assiste ainsi à des scènes humoristiques censées apporter un brin de légèreté mais qui marquent un rupture de ton si radicale qu’elle gâchent toute la deuxième partie du film. Thor : Le monde des ténèbres est en réalité une œuvre schizophrène qui hésite entre drame sombre et divertissement familial pour finalement muter en une œuvre hybride et sans identité. Pour conclure, à vouloir trop ratisser large, le film perd peu à peu l’attention de son spectateur et finit par se révéler frustrant qu’un si bel univers soit si peu exploité et que cet aspect comique déplacé gâche une grande partie du film.

Benji SIVI

BLOOD TIES de Guillaume Canet (2013)

Blood Ties de Guillaume Canet avec Clive Owen, Billy Crudup, Zoe Saldana, Marion Cotillard, Mila Kunis….

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Remake du film français Les Liens du Sang de Jacques Maillot avec François Cluzet, le nouveau film de Guillaume Canet m’intéressait pour plusieurs raisons avant sa sortie. Le film est co-scénarisé avec James Gray, le réalisateur des sublimes polars The Yards et La Nuit Nous Appartient. Deuxièmement, le film se passe en plein coeur des années 70. Canet dit avoir visionné quantité de films de cette époque pour son Blood Ties notamment Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg. Enfin, Canet avait réalisé avec Ne le Dis à Personne, un polar plus qu’honorable et le revoir dans ce genre pouvait laisser présager une bonne surprise après son horripilant Les Petits Mouchoirs. Résultat, Canet n’a clairement pas le talent de Gray pour conter cette grande fresque familiale.

Les frères Pierzynski ont choisi deux voies bien différentes. L’ainé Chris (Clive Owen) vient de passer plus de dix ans en prison après un règlement de comptes. Franck, le cadet, (Billy Crudup) est un flic exemplaire dédié corps et âme à sa profession. Frank accueille Chris chez lui pour l’aider à se réinsérer dans la société. Les vieux démons de Chris ne vont pas tarder à refaire surface. Alors que Frank décide de couper tous liens avec Chris, le sort va tout de même les réunir.

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Dès les dix premières minutes, on comprend que Canet a décidé de faire dans la sobriété. Il laisse vivre ses personnages en utilisant très peu d’effets en prenant son temps notamment lors des dialogues ou de longs plans fixes. A l’image de La Nuit Nous Appartient, la confrontation entre les deux frères se met peu à peu en place et on devine aisément la suite. Et malheureusement on touche là au vrai problème du film. Rien ne dépasse, tout est extrêmement léché et l’émotion n’apparait quasiment jamais. Tout est lisse. Peu de scènes viennent nous secouer. Deux exemples criants amènent à ce triste constat : la scène du braquage est d’une grande banalité où aucune tension ne nait. De même, la poursuite de voitures n’arrive pas à nous faire frémir. Le réalisateur français aurait du regarder les classiques de Friedkin French Connection ou Police Fédérale Los Angeles.

Sinon pendant le reste du film on est à la limite de l’ennui. Le film est sauvé en grande partie grâce au charisme de Clive Owen qui campe un grand frère criminel prêt à replonger assez convaincant et charismatique. De plus, il est toujours aussi plaisant de revoir James Caan à l’écran, ici en vieux patriarche dépassé. Le reste du casting est assez équilibré avec des anciens brisquards des Sopranos ou de The Wire. Pour conclure, je pense que  Canet aurait du se tourner vers un film beaucoup plus noir avec un photographie beaucoup plus sombre et des scènes chocs. On pense évidement à la scène d’infiltration de Joaquin Phoenix dans La Nuit nous Appartient, sommet du genre. Blood Ties, un film assez inoffensif.

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J-B Coriou

MATRIX de Andy et Larry Wachowski (1999)

 

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Sorti en 1999, Matrix est considéré comme l’un des films les plus importants de sa génération, et à juste titre. Le long métrage réalisé par les frères Wachowski (pardon… les frères et soeurs) mélange un univers dystopique au cyberpunk. Le ciel est couvert de nuages, suite à la tentative des humains de priver les machines de l’energie solaire. Malheureusement les machines ont trouvé une autre manière de se recharger, les humains, qu’elles utilisent comme des batteries.

Thomas Anderson travaille pour une entreprise informatique, tout a fait honnête le jour, il se trouve qu’il mène une double vie, la nuit il est hacker et se nomme Neo. On retrouve ici le thème cher au genre cyberpunk, la lutte du petit hacker contre la grosse multinationale, ici il s’agira de la Matrice et des agents Smith. D’autre part le long métrage mélange de nombreux mythes et concepts philosophiques qui retournent le cerveau du spectateur, et l’obligent à le revoir de nombreuses fois afin d’apprécier l’étendue de l’ univers et des sujets soulevés par les Wachoswki. Ceux-ci intègrent de nombreuses références à Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, aux animés japonais (qui se feront echo avec Animatrix en 2003) ainsi qu’aux classiques de la littérature de science-fiction et d’anticipation.

Mais ce ne sont pas tant les allusions culturelles qui ont scotché à leur fauteuil de nombreux cinéphiles à travers le monde. Le véritable impact est visuel,  il serait impossible de faire ici une liste exhaustive des trouvailles cinématographiques des réalisateurs, on parlera de la séquence durant laquelle Neo touche le miroir et se retrouve projeté dans le monde réel, plus précisement dans la bulle qui le maintient, ainsi que le reste de l’humanité dans un état de léthargie. C ‘est à ce moment précis que le héro naît, il ne comprend pas pourquoi ses yeux brûlent, Morpheus lui explique simplement qu’il ne les a jamais utilisés, pas plus que ses muscles ou le reste de son corps, sa vie antérieure n’a jamais été rien d’autre qu’un fantasme.

Si le film est un melting-pot de références, la dominante reste tout de même le cinéma asiatique et particulièrement celui de Hong-Kong, on y retrouve avec plaisir les gunfights inspirés des films de Johnnie To et des scènes de combat rarement aussi bien chorégraphiées et aussi fluides dans le cinéma occidental. La passion des auteurs pour les jeux videos se retrouve tout au long du métrage et le choix des décors renforce l’aspect vidéoludique. Comme on change de lieux, on change aussi de niveaux jusqu’à la confrontation finale avec le boss, l’agent Smith interprété par l’excellent Hugo Weaving.

Avec Matrix on prend non seulement une claque visuelle, mais on se retourne le cerveau à essayer de connaître le fin mot de l’histoire, le monde réel existe-il vraiment? Les humains rebelles sont ils vraiment humains ou sont-ils des programmes de la matrice qui ignorent leur condition (là on pourrait faire un lien rapide avec Blade Runner, quant à savoir si Deckard est aussi un réplicant). Cependant l’apport de la philosophie rend le scénario plus dense et prenant encore, cela permet plusieurs niveaux de lecture selon la sensibilité du spectateur, qui s’entrecroisent, parfois se rejoignent, mais jamais n’empêchent la compréhension du scénario (on vous renverra à l’ouvrage Matrix, machine philosophique, recueil de 13 essais sur la relation entre le film et la philosophie).

Matrix est donc un film important pour son époque et pour toute une génération, on y démontre qu’il est possible de mêler rélfexion philosophique et grand spectacle avec maestria. Il est temps de voir ou revoir ce classique de la science-fiction, qui n’a pas pris une ride et se paye le luxe d’envoyer des High Kick à un grand nombre de films censés avoir pris la relève.

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Marc- Antoine Ravé

L’ENFER DE LA CORRUPTION d’Abraham Polonsky (1948)

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En 1948, le jeune scénariste Abraham Polonsky se voit offrir la chance de mettre en scène son premier long métrage avec une totale liberté.

Dans les années 30 à New-York, Joe Morse jeune avocat marron, gère les affaires de Jack Tucker un puissant membre de la pègre gérant les paris. Au cours d’une de leurs opérations, ils vont causer la perte de Leo Morse, frère aîné de Joe. Rongé par les remords, ce dernier va tout faire pour se venger.

Premier film d’ Abraham Polonsky (dont la carrière sera mise à mal durant la chasse au sorcières de McCarthy), L’Enfer de la corruption porte tout l’enjeu dans son titre. D’un côté Joe Morse, jeune avocat ambitieux est l’âme damnée de Jack Tucker mafioso notoire et de l’autre Leo, son grand frère, patron, d’une « banque » de paris, mais honnête. On assiste à la déchirure d’une fratrie, les intérêts pécuniaires du premier contre les scrupules du second. Tout le long du film, Polonsky insère des éléments bibliques, avec d’une manière évidente, l’analogie à Abel et Caïn. La présence de John Garfield l’écran ne fait que confirmer son statut de grand acteur. Celui-ci campe de manière brillante, le jeune juriste rongé par l’ambition prêt à faire beaucoup pour gagner, comme il le dit lui même au début, son premier million.

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Si L’Enfer de la corruption débute en nous présentant une séparation claire entre le bien (représenté par Leo Morse et Doris Lowry) et le mal (Joe Morse et Jack Tucker), la frontière finit par devenir ténue pour disparaître tout à fait. Caïn cause la perte d’Abel, mais rongé par le remord décide de s’offrir une fin digne de Judas Iscariote. La violence physique et les règlements de compte sont moins présents que dans d’autres films de gangsters, ce qui est une bonne chose. Elle n’en est pas moins présente, les menaces de mort sont dissimulées mais sans ambiguité aucune. La scène de l’assassinat du comptable est particulièrement marquante ainsi que la scène du règlement de compte final.

Les dialogues sont très bien écrits, et apportent une touche poétique à un univers sombre régit par l’appât du gain. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un film noir, la violence se situe surtout dans les décisions prises par le protagoniste, et de l’impact qu’ont celles-ci sur son entourage et en particulier sur Leo. La direction d’acteur est sans faille, les dialogues font mouche et l’on apprécie l’explication sur le fonctionnement des loteries clandestines. Le principe de la narration de Joe Morse, se retrouve dans plusieurs longs métrages de Martin Scorsese, tels que Taxi Driver ou Les Affranchis. Le réalisateur a d’ailleurs supervisé la restauration du film, nul doute que le premier film de Polonsky a profondément marqué Scorsese autant comme cinéaste que comme cinéphile.

Marc-Antoine Ravé

PRISONERS de Denis Villeneuve (2013)

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Le jour de Thanksgiving deux petites filles sont enlevées. On suspecte le propriétaire d’un van délabré, Alex Jones, celui-ci est rapidement interpellé, seulement le détective Loki, chargé de l’affaire ne possède aucune preuve contre lui et doit le libérer. Keller Dover, père d’une des fillettes excédé par le manque d’efficacité de la police décide de retrouver sa fille par tous les moyens.

Le réalisateur québécois, Denis Villeneuve nous offre un voyage sombre dans une petite ville de Pennsylvanie où l’orage se fait souvent menaçant et la pluie tombe sans jamais s’arrêter. L’ambiance est glauque et c’est une des forces de ce long métrage, elle n’est pas sans rappeler celle de Seven.  Prisoners est un film viscéral, aidé par une mise en scène nerveuse qui tient l’intérêt du spectateur éveillé jusqu’à la toute fin. Le cinéaste joue avec les codes des thrillers et dispose des indices tout au long de la narration, il s’amuse du public qui a toujours le sentiment d’avoir une longueur d’avance.

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Jake Gyllenhal, remplit son office, une fois n’est pas coutume, avec brio. En campant le rôle de l’inspecteur Loki , un flic solitaire en confit permanent avec sa hiérarchie. C’est avec clairvoyance que Villeneuve évite les clichés téléphonés de flic brisé par son métier (dans la veine d’Olivier Marchal) et cachant une bouteille de whisky dans son tiroir. D’ailleurs Loki n’est pas un vieil inspecteur, il a la trentaine, mais est déjà rongé par son métier et bourré de tics. On nous donne peu d’informations sur ce personnage, mais suffisamment pour lui donner de l’épaisseur, Gyllenhaal s’occupe du reste. Il ne faut pas oublier l’excellent Hugh Jackman qui quitte son personnage de Wolverine pour incarner un père de famille très croyant, qui devant la disparition de sa fille, perd peu à peu tout sens moral. Prisonnier de sa rage, il ne la refoule plus, elle lui dicte sa conduite.

Prisoners est un excellent film au scénario solide et efficace, qui nous fait vivre la descente aux enfers d’une famille moyenne américaine avec un certain réalisme doté d’une pointe de folie mystique.  Le casting tient la route, la mise en scène , est aiguisée comme la lame d’un rasoir. Denis Villeneuve fait preuve ici d’une grande maîtrise et d’un grand talent.

Marc-Antoine Ravé